Lena Malevitis est une créatrice et directrice artistique franco-grecque qui a bâti un parcours singulier entre création textile, image de marque et design contemporain. D’abord connue pour son travail autour des matières, du tissage et des textures, elle occupe aujourd’hui le rôle de coordinatrice d’image chez Cotton Bird, où elle supervise la direction artistique, les shootings et la cohérence visuelle de la marque. En parallèle, elle vient de lancer Spiti Hêlios, un projet inspiré de ses racines grecques, qui revisite l’artisanat et le folklore à travers des pièces exclusives mêlant tradition et modernité. Dans cette interview, Lena partage sa vision de l’image, son lien profond aux matières, son approche sensible de la création et la naissance de Spiti Hêlios, un projet personnel qui incarne une nouvelle étape dans son parcours artistique.
1. Entre Cotton Bird et Spiti Hêlios : deux univers, une même vision artistique
Entre ton rôle de coordinatrice d’image chez Cotton Bird, structuré et collaboratif, et Spiti Hêlios, plus intime et libre, qu’est-ce que ces deux univers t’apportent et comment parviens-tu à garder une identité artistique cohérente en naviguant entre les deux ?
Ce qui me plaît, c’est de pouvoir évoluer dans deux univers qui se répondent sans être les mêmes. Chez Cotton Bird, j'interviens à différents moments du produit et du visuel, avec une approche très structurée et un cadre créatif riche, car nous avons une équipe avec plein de talents que je dois sublimer. Avec Spiti Hêlios, je suis dans quelque chose de beaucoup plus intime et je fais partie du processus dès le début.
Ces deux pratiques m’équilibrent : l’une nourrit ma vision, l’autre ma sensibilité.
Je garde une identité artistique cohérente parce que je suis impliquée dans toutes les étapes du produit, du concept jusqu’à la réalisation finale. Cette vision globale me permet d’assurer une continuité dans ce que je crée. Mon objectif, c’est que les gens puissent vraiment s’identifier à l’univers que je propose, qu’ils y trouvent une sincérité et une intention lisible.

2. Le regard de créatrice textile au service de l’image
Tu viens d’un univers très artisanal et sensible, celui du tissage et des matières. Comment ce regard de “créatrice textile” influence aujourd’hui ta manière d’aborder la direction artistique et la cohérence visuelle chez Cotton Bird ?
Même si je viens du monde du textile, je retrouve chez Cotton Bird cette même sensibilité pour la matière et le travail artisanal. Nous restons avant tout une maison de papeterie très artisanale : tout est imprimé dans notre atelier de production dans le sud de la France, et nos faire-part sont dessinés par nos illustratrices, à la main.
Mon regard de créatrice textile m’aide énormément dans ma manière d’aborder aujourd’hui la direction artistique. J’ai cette attention instinctive aux textures, aux détails, aux harmonies de couleurs, à la sensation que procure un objet quand on le tient : le grain du papier, les finitions dorées… Ça reste une approche très manuelle du produit.
3. Transmettre des émotions à travers l’image
Dans ta pratique textile, tu utilisais les matières pour transmettre des émotions. Aujourd’hui, comment transposes-tu cette approche très intuitive et sensorielle dans la sélection des images, la scénographie des shootings ou le storytelling visuel d’une marque ?
Chez Cotton Bird, mon rôle est justement de venir sublimer le produit : créer tout l’univers autour, imaginer les mises en scène, travailler la cohérence visuelle et raconter une histoire qui met en valeur le travail de nos illustratrices et la beauté de nos papiers.
Je sélectionne des images d’inspiration qui reflètent non seulement l’utilité de la papeterie, mais aussi le bonheur qu’elle accompagne. Ce n’est pas juste une carte : c’est l’annonce d’une naissance, un mariage… c’est un instant précieux qu’on partage. Et toute la direction artistique vise à transmettre cette émotion-là.

En somme, je fais le lien entre le geste artisanal et l’image, pour que chaque création soit non seulement un faire-part, mais aussi un objet sensible, soigneusement pensé de bout en bout.
4. Spiti Hêlios : moderniser la Grèce sans la figer
Spiti Hêlios est présenté comme un pont entre tradition grecque et création contemporaine. Comment ce projet est-il né concrètement, et qu’est-ce que tu avais envie de raconter ou de transmettre que tu ne pouvais pas exprimer ailleurs ?
Spiti Hêlios est né d’une légère frustration mais surtout d’un émerveillement. J’avais l’impression qu’on parlait de la Grèce de manière très figée et très traditionnelle, comme si elle se résumait au sirtaki, à l’ouzo ou à Santorin.
Et pourtant, chaque fois que je retourne à Nauplie voir ma grand-mère, je sens à quel point le pays bouge, se transforme, crée. En parallèle, j’ai découvert une scène artistique émergente incroyable, surtout à Athènes, où les jeunes réinventent les formes traditionnelles plutôt que de les répéter.

Et pour les chaussons, c’est venu très naturellement. C’est un objet que je connais depuis toujours, que je voyais chez ma grand-mère, très ancré dans l’histoire grecque. Je me suis dit qu’en les modernisant, ils pourraient vraiment trouver une nouvelle place.
5. Le retour aux matières : un besoin essentiel
Avec Spiti Hêlios, tu renoues avec la création d’objets et ton rapport intime aux matières, en signant à nouveau tes propres pièces. Est-ce une pratique qui te manquait et que tu avais besoin de retrouver ?
Absolument, c’est une pratique qui me manquait profondément. Le projet me trottait dans la tête depuis des années, mais je n’avais jamais vraiment pris le temps, ou peut-être trouvé le bon moment, pour me lancer. Ces derniers mois, le besoin de retrouver un geste créatif plus direct, de toucher la matière, de façonner moi-même les pièces, est devenu très fort.

Avec Spiti Hêlios, je renoue aussi avec mes racines. Depuis la disparition de ma grand-mère, qui était mon lien le plus vivant avec la Grèce, ce besoin est devenu encore plus essentiel. Elle brodait et tissait énormément, et quelque part, revenir à la création d’objets, c’est une manière de prolonger ce fil-là, de me reconnecter à ce que j’ai reçu d’elle autant qu’à ce que je veux transmettre.
6. Transmission et inspiration
Qui voudrais-tu voir interviewé ici, et quelle question poserais-tu ?
C’est assez peu connu, mais je suis une grande passionnée d’histoire de l’art. J’admire particulièrement le travail de Joanne Boyer, qui peint des sujets contemporains dans l’esprit des grands maîtres. Son parcours de femme et sa démarche artistique m’inspirent énormément.