Sabot YOUYOU est une marque emblématique de sabots artisanaux, fondée aux Sables-d’Olonne au début du XIXᵉ siècle. Forte de plus de 200 ans d’histoire, cette maison familiale incarne un savoir-faire artisanal unique, entre travail du bois, cuir et fabrication manuelle, transmis de génération en génération.
Reprise en 2020 par Charlotte Durand, la marque connaît aujourd’hui un nouvel élan, fidèle à son héritage tout en s’inscrivant dans une vision contemporaine et durable. Sa sœur, Claire Durand, a rejoint l’aventure familiale pour accompagner le développement de Sabot YOUYOU, portée par une histoire personnelle profondément liée à la maison et à l’artisanat.
Dans cette interview, Claire Durand partage son parcours, sa vision de l’entreprise familiale, les enjeux de la transmission du savoir-faire artisanal, et l’équilibre entre tradition et modernité au sein d’une marque patrimoniale française.
Rejoindre l’entreprise familiale
Qu’est-ce qui t’a motivée personnellement à rejoindre Charlotte dans l’aventure Sabot YOUYOU ?
Ce qui m’a d’abord motivée, c’est le sens. Sabot YOUYOU, c’est notre madeleine de Proust.
Notre grand-mère habitait juste derrière la saboterie, et avec mes sœurs, nous avons de merveilleux souvenirs d’enfance liés à la maison YOUYOU. Nous adorions jeter un œil curieux et profiter de l’ambiance de l’atelier du sabotier : l’odeur du cuir, le tap-tap-tap des clous contre les semelles de bois… et ce rêve de posséder un jour ces jolis sabots colorés.
Chaque petite Sablaise a eu en cadeau une paire de sabots YOUYOU. Ma fille Louise en a également une paire, que je conserve très précieusement.

Sabot YOUYOU n’est pas seulement une marque : c’est une histoire, un héritage, un savoir-faire rare que Charlotte porte avec beaucoup d’exigence et de passion depuis 2020. J’ai eu envie de l’accompagner pour donner encore plus de solidité et de cohérence à ce projet, et surtout pour participer à quelque chose de durable, d’authentique, qui a du fond. Rejoindre Charlotte, c’était aussi une évidence humaine : travailler ensemble, c’est prolonger une complicité naturelle dans un projet commun.
Comment s’est passée ta transition vers l’entreprise ? Avais-tu déjà un pied dedans ou est-ce que ça a été une découverte complète ?
J’avais déjà un pied dedans dès le début de l’aventure. Charlotte nous avait toujours dit qu’elle voulait reprendre une marque qui avait une histoire. J’imaginais plutôt une maison de vêtements, comme Mât de Misaine par exemple.
Puis j’ai vu sur les réseaux sociaux que YOUYOU était en vente. Je lui en ai immédiatement parlé et je suis allée à la boutique du port. Charlotte est descendue de Paris très rapidement, et l’histoire était en marche.
Ensuite, de par mon parcours professionnel, j’ai pu lui apporter des conseils sur le développement du site e-commerce et d’autres aspects stratégiques. C’était d’autant plus naturel que nous étions confinées ensemble pendant la période du Covid.
Mais cette transition a été à la fois une découverte et une évidence. Une découverte, parce que Charlotte a immédiatement apporté une touche de modernité aux modèles. Et une évidence, parce que je connaissais l’histoire de la maison.
Entrer concrètement dans l’entreprise m’a permis de mesurer la réalité du quotidien : la rigueur, les décisions, la responsabilité. J’ai pris le temps d’observer, de comprendre, d’apprendre avant d’agir. Cette phase a été essentielle pour trouver ma place sans brusquer l’équilibre existant.
Quelle a été ta première impression en entrant dans une maison aussi chargée d’histoire ?
Un profond respect. On sent immédiatement le poids du temps, les mains qui ont travaillé avant nous, les choix faits sur plusieurs générations. Il y a quelque chose de très émouvant à se dire qu’on n’est qu’un maillon de la chaîne, avec la responsabilité de transmettre à notre tour.
Nous avons d’ailleurs reçu de nombreux témoignages de personnes nous racontant leur propre histoire avec YOUYOU. Un jour, la fille d’une cliente nous a appelées pour nous demander si nous pouvions récupérer les sabots de sa maman décédée, car elle était incapable de s’en séparer elle-même. C’était extrêmement émouvant.
Reprendre une ancienne maison
Reprendre une entreprise avec une longue histoire, est-ce une pression ou une force ?
Les deux, forcément. Il y a une pression saine : celle de ne pas dénaturer, de ne pas faire n’importe quoi. Mais c’est surtout une force immense. Cette histoire apporte une légitimité, une profondeur, une âme que rien ne peut remplacer. Elle sert de boussole dans toutes nos décisions.

Quels aspects du savoir-faire historique t’ont le plus marqué ?
La précision et la patience. Chaque geste a un sens, chaque détail compte. Rien n’est laissé au hasard. J’ai été frappée par la constance de la qualité, par cette exigence silencieuse qui ne se revendique pas mais qui se voit immédiatement dans le produit fini.
Y a-t-il eu des surprises ou des découvertes inattendues dans les archives, les méthodes, les anciens modèles ?
Oui, beaucoup. Des formes, des proportions, des détails de montage qui paraissent très modernes aujourd’hui. On se rend compte que certaines idées existaient déjà il y a des décennies. C’est très inspirant et cela montre que la modernité peut aussi venir du passé.
L’ancien propriétaire de YOUYOU, Pierre Billet, avait collaboré en son temps avec agnès b.
Comment réussir, selon toi, à faire évoluer une maison artisanale sans trahir son identité ?
En partant toujours de ce qui existe déjà. Observer, comprendre, respecter, puis faire évoluer avec justesse. L’innovation ne doit jamais être un déguisement, mais une continuité naturelle. Il faut savoir dire non à certaines tendances pour rester fidèle à l’essentiel.

Travailler en famille
Comment se passe le quotidien entre sœurs dans une entreprise ?
Avec beaucoup de dialogue. Nous avons une confiance mutuelle très forte, ce qui nous permet d’être franches et d’échanger sans détour. Il y a évidemment des discussions, parfois des désaccords, mais toujours dans un objectif commun. C'est une grande force d’être ensemble dans les coups durs et la prise de décision est très rapide.

Comment répartissez-vous vos rôles pour que chacun ait sa place ?
Nous avons des rôles bien identifiés, en lien avec nos sensibilités et nos compétences respectives. Cette complémentarité est essentielle : elle évite les chevauchements inutiles et renforce l’efficacité, tout en respectant la vision globale.
Travailler en famille : plutôt un super pouvoir, un défi supplémentaire… ou les deux ?
Clairement les deux. C’est un super pouvoir parce que la confiance est totale. Et un défi, parce qu’il faut savoir préserver l’équilibre entre le professionnel et le personnel. Mais quand c’est bien géré, c’est une vraie richesse.
Petite anecdote rigolote :
Charlotte me présentait toujours au début comme sa “petite” sœur !
Nous avons 9 ans d’écart mais je suis maintenant un beau bébé de 46 ans :)
L’artisanat et la tradition
Qu’est-ce que représente pour toi l’artisanat aujourd’hui ?
C’est une forme de résistance positive. Une manière de produire autrement, avec du temps, du sens et de la responsabilité. L’artisanat raconte avant tout une histoire humaine, avant de raconter un produit.
Pourquoi est-ce important de faire vivre ce savoir-faire plutôt que d’opter pour une production plus industrielle ?
Parce que ce savoir-faire est fragile. Une fois perdu, il ne revient pas. Produire artisanalement, c’est préserver des gestes, des métiers, des identités locales. C’est aussi offrir des objets qui ont une âme, une singularité.

Malheureusement, nous n’avons pas trouvé de fabricant en France capable de réaliser nos sabots avec le même niveau de qualité qu’au Portugal. Les artisans portugais ont su conserver un savoir-faire que nous avons, en partie, perdu.
Quels gestes ou techniques artisanales te semblent les plus emblématiques de Sabot YOUYOU ?
Le travail du bois, la pose des clous, l’assemblage manuel… Ces gestes demandent précision, expérience et patience. Ils sont visibles, assumés, et font partie intégrante de l’esthétique du sabot.
Chez Sabot YOUYOU, l’artisanat ne se cache pas : il se voit et se ressent. Chaque paire de sabots demande de longues heures de travail.