La minute du vieux juriste
Données, information et propriété intellectuelle : une question d’appropriation
La lecture d’un article de blog consacré à un documentaire Netflix sur Sean “Diddy” Combs (Puff Daddy) m’inspire quelques réflexions juridiques. Derrière l’actualité et l’image, une question traverse nos sociétés numériques : une donnée, une information, est-ce une “chose” appropriable ?
Du droit des biens classiques aux biens immatériels
Au siècle dernier, lorsque étudiant je me suis frotté aux bancs de la Faculté de Droit, la summa divisio en droit civil résidait dans res (les choses, biens matériels susceptibles d’appropriation) et persona (les personnes, inaliénables et hors du commerce).
Or, le foisonnement des biens immatériels — créations intellectuelles, actifs informationnels, données brutes et objets de traitement — a rendu la frontière plus complexe. (On parlera du traitement par l’IA une prochaine fois !)
Qu’est-ce qu’un bien immatériel en droit français ?
Les biens immatériels sont des biens incorporels : créations intellectuelles ou actifs informationnels (œuvres, logiciels, bases de données, signes distinctifs, secrets d’affaires, etc.). Leur protection est organisée par le Code de la propriété intellectuelle, et par d’autres textes (RGPD pour les données personnelles, secret des affaires, etc.), selon la nature du bien en cause.
Aujourd’hui, en droit français, la propriété intellectuelle se décompose en propriété littéraire et artistique (droit d’auteur, droits voisins, droits sui generis sur les bases de données) et en propriété industrielle (marques, brevets, dessins et modèles, certaines indications géographiques). Chaque catégorie a ses propres conditions (originalité pour le droit d’auteur, nouveauté et activité inventive pour le brevet, caractère distinctif pour la marque, etc.) et ses
propres durées de protection.
Bref historique de la propriété intellectuelle
- 1474 : décret du Sénat de Venise (réglementait l’octroi de privilèges pour les inventions, protégeant l’inventeur contre la copie pendant dix ans et favorisant ainsi l’innovation au profit de la cité.).
- 1710 : Statute of Anne (premier texte sur le copyright, accordant un monopole temporaire de 14 ans renouvelables pour les auteurs).
- 1791–1793 : en France, lois fondatrices du droit d’auteur (œuvres dramatiques puis littéraires et artistiques).
Monopole d’exploitation et droits moraux
Comme pour un bien matériel, le titulaire d’un bien immatériel dispose d’un monopole d’exploitation qu’on peut rapprocher d’un usus, fructus, abusus : utiliser la création, en tirer des revenus, céder ou concéder l’exploitation (licence, cession) à un tiers.
Pour le droit d’auteur, ce monopole s’ajoute à des droits moraux (paternité, respect de l’œuvre, divulgation…), inaliénables : une différence structurante avec les biens matériels classiques.
Une donnée est-elle une “chose” ?
Pour être un « bien », une richesse doit notamment être appropriable, c’est-à-dire pouvoir être soustraite à l’usage collectif pour faire l’objet d’une réservation individuelle.
Une partie importante de la doctrine considère que l’information (et, par analogie, la donnée brute) est insusceptible d’appropriation et relève plutôt des « choses communes » de l’article 714 du Code civil, même si l’accès peut être matériellement contrôlé.
Quand une donnée devient-elle appropriable ?
En droit français, une donnée n’est appropriable qu’à titre exceptionnel, par des protections spécifiques et non par un droit de propriété classique (article 544 du Code civil). Elle devient appropriable si elle répond à des critères de protection dérogatoires :
- Bases de données : investissement substantiel (droit sui generis, art. L.341-1 CPI).
- Droit d’auteur : originalité (art. L.111-1 CPI) si la donnée/compilation forme une œuvre de l’esprit.
- Secret des affaires : caractère confidentiel + valeur économique + mesures de protection (loi n°2018-670).
- Données personnelles : non appropriables, mais encadrées par des droits des personnes (RGPD).
Donnée / traitement / information : où naît la pertinence juridique ?
En droit français et européen, un traitement transforme une donnée brute en information juridiquement pertinente dès qu’il confère une valeur ajoutée significative : structuration, analyse, interprétation rendant l’ensemble utilisable pour une finalité légitime (preuve, décision automatisée, etc.).
La piste de réflexion : dans le triptyque donnée / traitement / information, c’est le traitement (collecte, organisation, extraction…) qui rend la donnée pertinente dès qu’il dépasse le stade brut pour générer un insight actionnable, soumis à une base légale (consentement, contrat, intérêt légitime) et au principe de finalité.
Selon vous : images inédites et qualifications juridiques
Alors, quelles sont les différentes situations et qualifications juridiques issues d’images inédites filmées en suivant partout Sean “Diddy” Combs, notamment dans les jours précédant son arrestation en 2024, et contenues dans un documentaire sorti début décembre 2025 sur Netflix ?
FAQ
Une donnée brute peut-elle être “propriétarisée” ?
En principe non : la donnée brute n’est pas un bien appropriable au sens classique. Elle peut toutefois être protégée indirectement selon le contexte (base de données, secret des affaires, règles RGPD si donnée personnelle).
Quelle différence entre donnée et information en droit ?
La donnée brute reste factuelle. L’information issue d’un traitement (structuration, analyse) peut devenir juridiquement pertinente et entrer dans des régimes de protection spécifiques, selon sa nature et sa finalité.
Quels textes juridiques sont le plus souvent mobilisés ?
Le Code de la propriété intellectuelle (droit d’auteur, bases de données, marques, etc.), la loi sur le secret des affaires, et le RGPD pour les données personnelles.