Dans les coulisses du West End : entretien avec une superviseur de costume passionnée du théâtre londonien
Rien ne la prédestinait à travailler dans le monde du spectacle. Et pourtant, un hasard bienvenu l’a menée jusqu’aux coulisses du West End, au cœur du théâtre musical londonien.
Depuis plus de vingt ans, Kate Hemstock veille sur les costumes, les comédiens et la magie de la scène. Rencontre avec une costumière qui, dans l’ombre des projecteurs, fait briller le rêve.
« Tout a commencé par un heureux hasard »
Comment êtes-vous entrée dans le monde du théâtre musical londonien ? Était-ce un rêve d’enfant ou un accident heureux ?
Un pur hasard ! Personne dans ma famille n’était “du théâtre”. Je pensais vouloir créer des costumes ou des décors, mais je n’avais pas vraiment suivi de formation artistique dans ce sens.
Un jour, quelqu’un m’a conseillé de chercher un poste d’habilleuse dans The Stage Newspaper — à l’époque, c’était un vrai journal papier ! Il y avait une annonce pour The King and I, j’ai postulé, et j’ai été engagée.
Cette chance a tout déclenché. C’est ainsi que ma carrière a commencé.

« Mes débuts ont été un véritable choc »
Quel souvenir gardez-vous de votre toute première expérience sur une production ?
C’était extrêmement difficile. Les horaires étaient fous, la pression constante. Je me demandais comment toutes ces pièces du puzzle allaient s’assembler.
Je me souviens d’un dimanche pendant les répétitions techniques : j’étais épuisée, j’ai demandé à mon petit ami de m’emmener “n’importe où”, juste pour respirer de l’air frais. Je ne voulais plus rien résoudre, juste être.
Je ressens encore parfois ce besoin aujourd’hui !
« We Will Rock You m’a changée à jamais »
Y a-t-il un spectacle ou un metteur en scène qui a particulièrement marqué votre parcours ?
Sans hésiter, We Will Rock You. J’y ai travaillé presque cinq ans, et cette aventure a été une véritable famille.
J’y ai rencontré des artisans incroyables, et encore aujourd’hui, c’est avec eux que j’aime retravailler.
Ce job m’a aussi offert une stabilité rare : grâce à lui, j’ai pu acheter mon premier appartement. C’est exceptionnel dans ce milieu où les contrats sont souvent très courts.

« Les coulisses, c’est un défi physique et technique permanent »
Quels sont les plus grands défis que vous rencontrez en coulisses ?
L’espace ! Les théâtres londoniens, souvent victoriens, sont magnifiques mais pas adaptés aux productions modernes.
Les escaliers sont étroits, les ateliers mal situés — souvent dans des sous-sols ou sous les toits. Il m’est arrivé de monter et descendre avec les tenues et les machines à coudres sur huit étages. Sans ascenseur !
C’est un métier physique, et il faut être ingénieux pour que tout tienne dans ces espaces réduits.
« Le théâtre, c’est une famille — mais il faut la préserver »
On dit que travailler dans le West End, c’est faire partie d’une grande famille. C’est vrai ?
Oui, absolument. On passe tellement de temps ensemble que cela devient une manière de vivre.
Mais c’est aussi une grande responsabilité : si quelqu’un ne fait pas sa part, c’est tout le spectacle qui en souffre.
Je me souviens de ma première erreur : j’avais oublié de poser une coiffe sur une danseuse. Elle était la seule du groupe sans accessoire ! Ça se voyait évidemment. Depuis, je vérifie tout trois fois.
Malheureusement, nous sommes plusieurs à avoir le sentiment que cet esprit familial s’effrite un peu ces dernières années. On perd parfois le sens du collectif.

Pour le tournage du Grinch pendant la période de Covid, j’ai fait revenir pas mal de membres de l’équipe avec qui j’avais travaillé sur We Will Rock You pour ces neuf jours de tournage dans un studio à Londres.
« Les répétitions techniques sont une chorégraphie invisible »
Comment décririez-vous l’ambiance en pleine répétition ?
C’est un ballet parfaitement orchestré, mais totalement fou.
Chacun a son rôle : la lumière, le son, la mise en scène, les costumes, les accessoires… Tout doit s’enchaîner à la seconde près.
Chaque fois, on se dit : “C’est impossible à faire dans le temps imparti !” Et puis, après deux tentatives, tout s’aligne.
C’est tellement précis que ça en devient presque musical. Et à la fin, on plaisante en disant : “Et maintenant, on a même le temps de prendre une tasse de thé !”

« Les costumes racontent autant que les mots »
Comment travaillez-vous avec les créateurs et les metteurs en scène ?
Sur les grandes productions, tout le monde communique en permanence via des casques.
Le rôle de l’équipe costume, c’est d’être le pont entre le design et la réalité du plateau. Parfois, il faut adapter une tenue : ajouter une fermeture éclair à une robe d’époque pour un changement rapide, par exemple.
L’idée, c’est toujours de préserver l’intention artistique tout en respectant les contraintes techniques.
Mais surtout, le costume raconte.
Je me souviens d’une actrice de 90 ans qui ne voulait pas que son costume soit trop bien repassé, car son personnage “n’aurait pas eu le temps de le faire”.
Qu'elle ait compris ce détail m’a beaucoup touché. Elle aussi comprenait ce que je ressentais depuis le début : le vêtement fait partie intégrante du récit, qu’il peut dire autant que les mots.
« Trois spectacles qui ont changé ma façon de voir le théâtre »
Quels spectacles vous ont le plus marquée en tant que spectatrice ?
Trois, sans hésiter.
War Horse, d’abord. Ces marionnettes de chevaux semblent vivantes. C’est une œuvre d’une poésie absolue — un moment de pure magie.
Oslo, ensuite, qui retrace les Accords de paix israélo-palestiniens. Un texte bouleversant, d’autant plus fort aujourd’hui.
Enfin, Till The Stars Come Down, de Beth Steel. Cette pièce m’a profondément émue, car j’y ai entendu des voix comme la mienne, avec mon accent et mon histoire.
C’était la première fois que je voyais sur scène des personnages qui me ressemblaient. Et j’ai compris à quel point il est vital que chacun puisse se reconnaître dans ce qu’il voit sur scène.
« Derrière chaque costume, il y a une humanité »
Y a-t-il des causes qui vous tiennent particulièrement à cœur ?
Oui, plusieurs.
Je soutiens Cancer Research, car j’ai perdu ma mère d’un cancer à 58 ans.
Je suis aussi engagée auprès de Age UK, pour rompre l’isolement des personnes âgées — parfois, un simple “comment allez-vous ?” suffit à changer une journée.
Et dans ma communauté, je participe à Friends of KingsWood, une association qui restaure un bâtiment classé et organise des repas solidaires.
Enfin, chaque Noël, je donne à Crisis, pour offrir un dîner aux sans-abris. Je veux savoir que quelqu’un, quelque part, ne passera pas le réveillon seul.
Le fil invisible du rêve
De la chance, du travail, de la solidarité et beaucoup d’amour du métier : voilà les ingrédients de sa carrière.
« Ce que le public voit, c’est la lumière, la musique, la magie. Mais derrière, chaque soir, il y a une armée silencieuse qui fait exister le rêve. »
Elle en fait partie — discrète, essentielle, et toujours émerveillée.

Je m’installais sur le toit du Duke of York’s Theatre… c’est une porte secrète qu’on n’a plus le droit d’ouvrir, mais je sortais le fer à repasser et je travaillais au soleil ! (Les gens du théâtre doivent vraiment prendre de la vitamine D, car nous restons souvent dans le noir !)