L’émission Loup-garou, diffusée sur Canal+ et imaginé et co-rpoduit par Panayotis Pascot et Fary Lopes, ne se contente pas d’être un divertissement où un groupe tente de repérer qui les trahit en secret. Derrière les rires provoqués par la narration, les mensonges assumés et les retournements de situation, se cache en réalité l’héritage d’un outil pédagogique inventé dans les années 1980 : Mafia, le jeu créé par Dimitry Davidoff, alors étudiant puis professeur de psychologie à l’Université d’État de Moscou.
Et c’est cette filiation, souvent ignorée, qui rend l’émission particulièrement intéressante à analyser.
Un jeu télévisé… né dans une salle de classe
À l’origine, Mafia n’avait rien d’un divertissement. Davidoff imaginait un exercice social permettant d’observer comment une petite minorité informée pouvait manipuler, orienter ou faire imploser une majorité désorganisée. Le principe était simple :
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une poignée de joueurs ont des informations secrètes ;
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la majorité n’a que sa logique, son intuition, et parfois ses peurs ;
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le groupe doit décider ensemble… sous tension permanente.
Cette configuration, que reprend aujourd’hui Loup-garou, met en lumière les mécanismes qui régissent nos comportements collectifs dans les situations d’incertitude.
Quand Fary et Panayotis rejouent une dynamique de pouvoir

Dans l'émission, les protagonistes sont enfermés dans une séquence où chaque regard, chaque hésitation, chaque sourire trop appuyé devient suspect. Les deux animateurs orchestrent l’ambiance, mais ce sont les joueurs qui, sans en avoir conscience, reproduisent les phénomènes étudiés par Davidoff.
On retrouve ainsi :
1. La suspicion comme moteur
Plus la majorité est désorganisée, plus elle compense par la suspicion.
L’absence d’informations pousse à combler les vides avec des hypothèses — et souvent les mauvaises. Les participants scrutent les gestes, la voix, les lapsus. Un rire peut devenir une preuve. Une justification maladroite, un argument imparable.
La suspicion crée un climat où tout le monde peut devenir coupable.
2. La persuasion comme arme
Les joueurs qui tirent les ficelles dans l’ombre — les “loups-garous” — doivent convaincre sans en avoir l’air. Ils s’adaptent au contexte, utilisent leur charisme, exploitent la moindre faille psychologique.
Mais la persuasion n’est pas l’apanage de la minorité : dans l’émission, les innocents aussi tentent d’entraîner le groupe dans leur raisonnement. Et c’est souvent la personne la plus éloquente, non la plus rationnelle, qui emporte l’adhésion.
Ainsi, Loup-garou met en scène une vérité sociale :
La majorité suit rarement celui qui a raison, mais celui qui parle le mieux.
3. Le mensonge comme compétence sociale
Dans Mafia comme dans Loup-garou, le mensonge n’est pas seulement une tactique : c’est une expérience sociale. L’émission le rend spectaculaire, presque artistique. Les joueurs mentent pour survivre, mais aussi pour divertir, pour performer.
Et c’est précisément ce qui rend l’analyse passionnante :
le mensonge devient un révélateur de personnalité, un test de cohésion du groupe, voire une source de chaos ludique.
4. La solidarité comme moteur face à un ennemi commun inconnu
Paradoxalement, ne pas savoir où se cache l’ennemi crée une forme de cohésion spontanée.
Face à la menace invisible, les joueurs cherchent à s’unir, à former un front commun, même fragile, même provisoire. Cette solidarité naît du besoin de se rassurer, de comparer ses intuitions, de valider ses doutes.
Elle repose moins sur la confiance réelle que sur l’urgence de survivre ensemble, et révèle une vérité sociale fondamentale :
Un danger flou soude parfois davantage qu’un danger identifié.
Mais cette alliance est instable, prête à se fissurer dès que la suspicion regagne du terrain — exactement comme Davidoff l’avait observé dans ses expériences pédagogiques.
Pourquoi cette émission fonctionne autant ?
Parce qu’elle mêle spectacle, psychologie et instinct humain.
Elle joue sur les mêmes leviers que le jeu original de Davidoff :
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la peur de se tromper,
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la volonté de démasquer,
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l’intuition contre la logique,
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l’émotion contre la raison,
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le pouvoir de quelques-uns contre la vulnérabilité du groupe.
- Bon, et clairement la narration et les blagues de MisterV aka Yvick Letexier qui très tôt vous surprend, déstabilise et apporte un angle de pure divertissement à l'émission
Le téléspectateur devient alors complice. Il analyse, soupçonne, se trompe, rit. Il vit, en somme, la même expérience que les élèves de Davidoff, mais dans un décor scénarisé, avec des personnalités publiques qui amplifient le jeu.
Un divertissement… et un miroir social
Au-delà de l’humour, Loup-garou nous rappelle une chose essentielle :
dans tout groupe humain, l’information est un pouvoir.
Et quand une minorité la détient, elle peut orienter, manipuler, ou déstabiliser une majorité démunie.
C’est ce que Davidoff voulait démontrer avec Mafia.
C’est ce que nous observons dans l’émission de Fary et Panayotis.
Et c’est peut-être pour cela que ce format nous fascine autant : il révèle nos biais, nos peurs, notre manière de décider collectivement — même lorsqu’on joue.