Témoignage 8 : la vulnérabilité en post-partum et frénotomie

Nous pensons fondamentalement que le partage de nos expériences nous enrichit et nous aide à nous sentir moins seul(e) dans certaines situations, c'est pourquoi nous vous donnons la parole et déposons vos témoignages dans notre journal. "Because Sharing is caring".

 

Aujourd'hui nous vous proposons le témoignage d'Hélène (alias @sootsyy) qui vient nous raconter son expérience de personne avisée et entourée qui malgré tout, dans cette période vulnérable de post-partum, a douté au point de vouloir suivre les conseils d'une personne outre-passant ses propres compétences, dans le cadre de ce que le Dr Gisèle Gremmo-Féger a appelé La saga des « freins buccaux restrictifs » chez l’enfant allaité.

 

@elodiefromentphotographie

Avant ton témoignage, pourrais-tu te présenter ?

"Je m'appelle Hélène, je suis pharmacienne, j'ai vécu 10 ans à Paris où j'ai rencontré mon mari, Benjamin. On a eu un premier enfant, Léon, il y a trois ans. Puis quand, l'an dernier, je suis tombée enceinte de ma fille Georgia, Benjamin a décidé qu'il voulait vivre prêt de la mer et moi j'ai décidé que je voulais vivre prêt de ma mère. Depuis on vit donc au Touquet ! "

(Un, Deux, Un, Deux... test, test micro, ok top) On t'écoute ! 
 

"Avant même d'envisager une grossesse, l'allaitement était pour moi une évidence. Un truc non négociable.

Alors quand je suis tombée enceinte de mon fils il y a trois ans j'ai joué les bonnes élèves et je me suis beaucoup renseignée : réunions LLL, groupes Facebook, bouquins, podcasts et compte insta. Et ce qui semblait en ressortir c'est qu'allaiter c'est difficile.

Quand Léon est né, en siège et au troisième percentile (NDLR : Cela signifie alors que 97% des bébés du même âge sont plus lourds que lui), je me suis sentie nulle. Nulle de pas réussir à faire un bon gros bébé comme tout le monde. Alors mon projet il devait réussir :

JE DEVAIS ALLAITER

Je lisais partout que le mieux c'est de se faire accompagner alors j'ai appelé une consultante en lactation.

Lorsque je l'ai rencontré à J-5 mon bébé savait téter et il prenait du poids. Mais moi j'étais vulnérable et terrifiée, la pression mise sur la prise de poids des nouveaux nés m'angoissait. J'avais besoin qu'on me dise que tout allait bien.

Malheureusement pour moi la personne en face de moi n'a pas compris mon besoin. Après m'avoir dressée une liste d'injonctions (pas de poussette, laisser le bébé au sein toute la nuit, tirer mon lait 8 fois par jour) elle m'annonce que mon fils a un frein de langue, qu'il faut urgemment l'opérer et avoir recours à différents professionnels type chiropracteurs pour rééduquer le tout.

Le risque ? Elle m'annonce des conséquences à long terme terrifiantes.

Je suis perdue; mais entourée. Mon mari prend un peu de recul. Mes parents prennent du recul. Des morceaux du discours tiquent dans ma tête et pourtant. Je suis pharmacienne mais 5 jours après avoir accouché je n'ai aucun esprit critique. 

Je suis malgré tout effrayée par le discours alarmiste et les conséquences que pourraient avoir ma décision plus tard (trouble de l'oralité? Trouble du langage? Problème de dos ? ).

Mon père est stomatologiste. La chirurgie de tout ce qui se trouve dans la bouche c'est son métier. Il me promet de regarder la bouche de mon fils quand on se verra et il coupera si il estime que c'est nécessaire.

Mais moi ça ne me va pas. La dame a insisté sur l'urgence de la situation. Et dans mon cerveau disparu dans les vapeurs du post-partum je me surprends à penser "mon père il n'y connait rien. Il n'est pas formé aux freins" (encore une fois C'EST SON MÉTIER).

On décide de contacter l'ORL recommandé pour avoir un avis médical sur cette histoire de freins. La réponse me ramène sur terre : on me demande un paiement pour que mon dossier soit examiné. C'est bête comme truc mais c'est à ce moment là que je bloque. Jamais un médecin ne demanderait un paiement pour examiner un dossier. Ce n'est pas une grosse somme mais ça n'a pas de sens. Déontologiquement ça me paraît impossible. Déontologiquement c'est impossible.

Je me rappelle que mon bébé grossit. Que mon allaitement ne présente pas de problème. Je commence à accepter d'écouter mon entourage qui a plus de recul que moi. Je le prend ce recul.

Cette histoire a duré dix jours à tout casser. Mais dans les mois qui ont suivi, je n'ai pas pu m'empêcher de me dire que "si" j'avais pris la mauvaise décision, pouvait-il y avoir des conséquences à long terme sur mon fils?

Entre la première et la deuxième année de mon fils j'ai passé un diplôme universitaire en lactation humaine. Et j'ai enfin réussi à le prendre définitivement, ce recul. En lisant des études, en détricotant les croyances autour de l'allaitement mais aussi en voyant mon fils grandir sans problème.

En racontant mon histoire dernièrement, j'ai vu à quel point elle était banale en recevant pleins de témoignages similaires. À quel point dans cette vulnérabilité qu'est le post-partum peuvent venir s'immiscer des dérives et du charlatanisme. Et surtout à quel point il est important de s'écouter, et d'écouter son village, même quand on a du mal à entendre.

 "Ecoutez vous, prenez du recul, avec n'importe quel soignant/accompagnant autour de la parentalité"

@elodiefromentphotographie

 

Et petit happy end : mon fils a trois ans. Il a été allaité 20 mois, il parle bien, ne veut se nourrir que de pâtes et de saucisses mais il mange bien. Mon père a pu regarder ce fameux frein. Il est peut être un peu court mais tant que cela ne pose pas de problème pas de raison d'intervenir. Et si il faut le faire à un moment donné il ne sera jamais trop tard."

Hélène 

 On profitera de cet article pour partager l'information suivante que nous a transmise Hélène sur La saga des « freins buccaux restrictifs » chez l’enfant allaité.  et l'éclairage apporté par le Dr Gisèle Gremmo-Féger.

Depuis une bonne dizaine d’années, on observe une augmentation inquiétante des diagnostics de freins de langue courts ou de freins de lèvre et des demandes d’interventions de sections de ces freins chez les enfants allaités. Cette situation s’est installée après l’introduction du concept de frein de langue postérieur.

Cet article est une mise au point concernant les préoccupations et connaissances actuelles sur le sujet des freins buccaux et de l’allaitement. La compréhension des mécanismes de la succion au sein, de nouvelles données anatomiques et des conférences des consensus apportent un éclairage contribuant à adopter une approche raisonnée de cette problématique.

Il n’y a pas de lien formellement établi entre un score de frein de langue court et des difficultés d’allaitement. Avant de recourir à une frénotomie, il est indispensable de procéder à une évaluation méthodique et rigoureuse du couple mère-enfant et de la conduite pratique de l’allaitement.

 

Et si vous n'êtes toujours pas convaincue, voici plus d'information suite à ces dérives: 

Communiqué de l'académie nationale de médecine

 

Un appel collectif à la vigilance !

Face à l’accroissement important sur tout le territoire de réseaux proposant, à des tarifs excessifs, de traiter les douleurs mamelonnaires et l’arrêt précoce de l’allaitement par la frénotomie (ou pire de la pratiquer à titre préventif), l’Académie nationale de médecine s’associe à plusieurs sociétés savantes, médicales, chirurgicales, paramédicales, à des collèges professionnels et des associations, pour émettre les plus grandes réserves quant à l’intérêt et l’innocuité de ce geste invasif à risque d’effets secondaires, et formuler les recommandations suivantes:

 

1. En l’absence de difficultés d’allaitement, la présence d’un frein de langue court et/ou épais ne constitue pas en soi une indication de frénotomie, qui est un geste agressif et potentiellement dangereux pour les nouveau-nés ou les nourrissons et ne doit pas alors être pratiqué.

2. En présence de difficultés d’allaitement, quelles qu’elles soient, une démarche diagnostique rigoureuse doit être réalisée par des professionnels de formation universitaire, ou ayant une formation agréée officiellement en allaitement, respectant une médecine basée sur des preuves, prenant en compte l’état général global de l’enfant complétée d’une évaluation rigoureuse anatomique et surtout fonctionnelle de la succion/déglutition de l’enfant. La frénotomie, restant exceptionnelle, devra être décidée en lien avec le médecin traitant ou le pédiatre.

3. Une frénotomie aux ciseaux peut être indiquée après information des parents sur le rapport bénéfice/risque, à condition qu’il existe un frein lingual antérieur court et/ou épais et uniquement après échec des mesures conservatrices non chirurgicales classiquement mises en place. Ce geste est réalisé avec ou sans anesthésie de contact, remise au sein immédiate et prescription d’un antalgique. Après la frénotomie, aucun geste intrabuccal n’est nécessaire dans les jours suivants.

4. Des études méthodologiquement rigoureuses, ciblant les indications, l’efficacité et la tolérance de la frénotomie, sont à mener sans délai.

5. La préparation à l’allaitement et la formation des professionnels doivent être améliorées afin de d’accentuer la prise en charge conservatrice et non chirurgicale en cas de difficultés."

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